jeudi 8 janvier 2015

El Haiba : Le pacifique

Ben, Laaroubi ou encore Aarab, sont autant de sobriquets qui désignent une personne très chère à mes yeux. Une personne qui m’avait tendu la main à un moment où j’en avais grandement besoin, une personne atypique, imprévisible, mais débordante de gentillesse et d’empathie. Pas un seul instant, je ne me suis ennuyé en sa présence depuis que je l’ai connu un matin  de septembre 1975, à l’institut d’hygiène à Rabat. Avec feu Daoudi et AAboub, nous formions les quatre  agents pris en charge par l’ONEP avec une bourse de l’OMS, pour suivre le cycle de formation de techniciens de laboratoire de la santé publique.
Benaissa El Haiba, puisque c’est de lui qu’il s’agit, fait partie d’une génération au Maroc qui a vécu deux clivages importants, accompagnés de bouleversements conséquents aussi bien économiques que sociaux.
Né à l’aube du premier clivage de l’indépendance, à un moment où le pays se reconstitue et se relève de la grande léthargie du colonialisme, naquit et grandi avec les espoirs d’une jeunesse livrée à elle-même où nos parents, pour la plupart des illettrés, nous guidaient par le bon sens et par plus de cœur que de raison, Ben, se forgea une personnalité à un âge précoce.
Lors du deuxième clivage de la marche verte et comme la plupart de ses contemporains, dont nous faisions le compte, il s’était déjà pris en charge tout seul, et l’âge de l’adolescence étant ainsi réduit, il chercha derechef, à s’extirper du carcan familial, par tous les moyens  pour  se retrouver ainsi  libre de ses faits et actes.
Après l’institut, nous nous retrouvâmes à nouveau au laboratoire du quartier Lyoussoufia où la grande aventure allait commencer. Chacun de son côté allait percer dans un domaine spécifique et Benaissa en particulier avait un esprit de scientifique aguerri, qui ne se suffisait pas de petites explications à la volée et sans fondements. Je me rappelai, qu’il me répétait souvent, quand on faisait nos premiers pas dans l’utilisation de certains appareils de mesure que c’était une opportunité à ne pas rater, il disait, c’est l’occasion « d’apprendre la coiffure sur la tête d’un chauve ».
Il était convaincu que le meilleur moyen de s’améliorer était de continuer ses études. Il eut ainsi son baccalauréat en candidat libre au premier essai et eu plusieurs opportunités de faire des formations d’ingénieurs, tantôt au Maroc, tantôt à l’étranger. Mais aucune ne s’est concrétisée, jusqu’au jour où il s’envola pour l’Allemagne, pour une formation longue durée en assainissement liquide.  Au fil des années, Ben était devenu incontournable en assainissement si bien qu'il en fit son domaine de prédilection, qui ajouté à son back grounds en traitement des eaux, faisaient de lui une référence reconnue par ses pairs partout au Maroc.
Pour l’anecdote, aux alentours des années 80, depuis son intervention avec le Dr Abouzaid lors de l’apparition du manganèse dans les sédiments de la retenue à El Hoceima, Il avait eu l’étiquette de spécialiste du traitement du manganèse. Curieusement, ce versatile élément allait le narguer, un jour dans la station de traitement de Smir.  Je dirai que Ben, ce jour-là, fut sauver par le gong et par la voix divine, qu’il appellerait lui le sixième sens, car nous étions ensembles à Tétouan, dans une chambre de passage, on s’apprêtait à dormir vers minuit, quand soudain, Ben se releva et sans piper mot se mit à enfiler son pantalon. Interloqué par son geste furtif et rapide, je me retournai vers lui pour savoir de quoi il retournait. Il me regarda d’un air inquiet et me dit : « Je pars tout de suite à Smir, je sens qu’il se trame quelques choses au niveau de la station ». Arrivés tous les deux en trombe à la station de traitement, nous découvrîmes que Ben avait vu juste et qu’un désastre était en train de se produire, car un ouvrier en inversant, l’injection du permanganate avec le coagulant  avait rompu la chaine de coagulation du dioxyde manganeux qui prenait tranquillement son chemin vers les filtres. L’eau commençait déjà à rosir au niveau des ouvrages et il aurait suffi d’une autre petite heure de retard pour subir immanquablement l’une des plus grandes catastrophes dans les annales de l’ONEP, en matière de traitement des eaux.   Benaissa, dans le feu de l’action, n’a pas frémi un seul instant, et étala devant ceux qui ne le connaissaient pas, son savoir-faire et son expertise pour rétablir la situation, sans que les abonnées de M’diq, parmi lesquels on comptait justement, le Directeur Général de l’ONEP et plusieurs ministres du moment,  ne ressentent la moindre gêne en qualité ou en quantité de l’eau desservie. Ce fut un coup de maitre auquel, j’ai assisté avec admiration, et qui aura coûté à Aarab  une nuit blanche et quelques millilitres de sueurs froides.
Moult expériences de ce genre dont la liste est longue, ont fait de lui un expert métier, un pur produit de l’office, si bien que l’on s’aperçut un jour au démarrage de la STEP Pilote à l’ONEP, que c’était l’unique personne idoine pour le poste de responsable.  Ce n’était que justice rendue pour ce baroudeur et bosseur invétéré.  L’autre facette et non des moindres où Aarab  excellait, était la formation. Eh Oui, Ben, ayant le vent en poupe et  le site adéquat s’en est donné à cœur joie, et se perfectionna dans l’art de véhiculer l’information, si bien que sa renommée dépassa largement les frontières nationales.
Je ne voudrai pas m’allonger davantage, sur les réalisations fabuleuses réalisées par notre ami Aarab, car je voudrais réserver, une partie de cet écrit, pour parler de l’homme commun et non plus du personnage.
En dehors du boulot, plus jovial que lui, je ne l’ai jamais connu, plus pacifique non plus. Pas une seule fois, depuis notre jeune âge, alors qu’on déambulait comme tout un chacun dans les boulevards, je ne l’ai vu fermer le poing, en signe d’énervement, que dis-je, même pas de chiquenaude, ni de pichenette envers son prochain.
En fait derrière son charisme, sa prestance et son allure, se cache un cœur tendre, un homme de dialogue et de négociation. Il soupesait, toujours, les personnes au regard de leur capacité à discuter, à argumenter leur thèse sans aucun emportement et non pas à leur position sociale ou rang hiérarchique.
Benaissa est également quelqu’un de très organisé,  bon gestionnaire de son quotidien, très réaliste, bon vivant mais très sage. Jamais je ne l’ai vu dépasser ses limites. Il aime le grand air et le bord de mer. C’est un fin gourmet et un cuistot insoupçonné.
 Mon frère, mon ami, je ne sais si j’ai pu, en malmenant le verbe, plus ou moins bien, exprimer ce que je pense de toi, sachant que ce que tu as fait, je n’ai guère la prétention d’en relater l’exhaustivité.
 Tout simplement, tu es unique, irremplaçable et je doute fort que des personnes de ta trempe puisse encore voir le jour dans ce domaine.
Je te souhaite une longue vie, pleine de succès, pleine de voyages en plein air, tels que tu en raffoles, puisses-tu atteindre les objectifs que tu t’es tracés pour toi et les tiens Inchhaallah.


Win pour Ben                                                                       Salah ABDELMOUMENE

samedi 3 janvier 2015

Hommage à la compétence


Je ne sais pas pourquoi le mot retraite me turlupine, chaque fois, que je l’entends. Dès que je me mets à cogiter là-dessus, je m’aperçois tout de go que mon esprit crie à l’hérésie du fonctionnariat. Le retraité ne sait plus, le pauvre, à quels saints se vouer. Remercié à un âge avancé, avec une pension dégrossie au maximum, avec l’abandon d’un poste où le prestige de l’occuper en est la satisfaction intrinsèque, il se retrouve du jour au lendemain dans une nébuleuse où point de ligne d’horizon visible, point de sentier clair à suivre et point de passerelle pour un futur proche à prendre. Au jour de son départ, il attend une main tendue et clémente de ses collègues, une reconnaissance pour les efforts consentis pendant de longues années de labeur.

Conscient de cet état de fait, puisque j’y suis passé, j’ai juré de toujours être là pour rendre hommage à mes collègues et leur insuffler un brin de courage et leur prêter main forte, ne serait- ce qu’en usant de gallicismes  réconfortants et empathiques à leur égards. Pas une seule fois, je n’ai failli à cette règle, jusqu’au jour où ce fut le tour d’un collègue très cher à mes yeux, auquel, je n’ai pu assister lors de son départ, pour n’avoir pas été avisé. 
  
Mais pour ne pas m’avouer vaincu et rattraper le coup, je voudrai rendre hommage à cette personne, dont le parcours depuis son arrivée à son poste en 1981, à l’Office National de l’Eau Potable (l’actuel ONEE) est tout à fait exceptionnel. Il s’agit de M. El Mghari Tabib Mohamed, Docteur en chimie de l’eau et de l’environnement. Cet homme, depuis sa prise de service au laboratoire central de l’ONEP, s’est très vite démarqué au sein de l’équipe, responsable de la paillasse de physico-chimie, dont il prit les rennes quelques temps après.
Ma première entrevue avec lui, je m’en rappelle comme hier, avait concerné le contrôle du résultat d’un paramètre dont la valeur sur terrain était trop éloignée de celle obtenue au laboratoire. Ce fut le jour où j’ai vraiment soupesé la personne, car, en scientifique avéré, il assista à une analyse contradictoire, au niveau de la salle de chimie et découvrit alors que la valeur erronée était plutôt celle obtenue au laboratoire et non celle du terrain. C’est dans des cas pareils que l’on reconnait les professionnels, les vrais, car M. El Mghari, géra ce quiproquo avec un calme et une maitrise inouïs. Depuis je lui présageais un avenir florissant à l’ONEP et je me félicitais, pour l’office, d’avoir une nouvelle recrue de cette classe.
A la télévision à l’émission
MOUATIN AL YOUM
Au fil des années, beaucoup d’eau à couler sous les ponts pour rejoindre les retenues de barrages et être harnachée par les soins de M. El Mghari qui, maintenant en sus de la chimie, la direction lui confia également la responsabilité du traitement des eaux, où comme à son habitude, il se distingua et y apporta moult améliorations, tant en qualité qu’en quantité d’interventions. Désormais il était devenu, incontournable, à juste titre, dans toutes les décisions scientifiques ou organisationnelles que le laboratoire devait prendre. Sa grande facilité de communication, ses solides connaissances du métier, son respect pour ses collaborateurs, sa grande faculté d’écoute, sa méthodologie scientifique de chercheur confirmé y étaient pour beaucoup.
On sentait même chez lui que le carcan administratif des postes de responsabilité qu’il a brigués, le gênait quelques peu, parce qu’il savait pertinemment que pour être performant dans ce domaine, il était indubitable de  rester coller au technique. Ceci lui permettait de demeurer très proche et à l’écoute et de ses collaborateurs qui étaient positionnés dans le chemin critique de la production du résultat des analyses. Il lui arrivait même quand le besoin s’en faisait sentir de retrousser ses manches et participer à quelques analyses. La dernière à laquelle, j’ai moi-même assisté, est celle d’un essai de toxicité sur poisson, qu’il a réalisé, haut la main avec une dextérité fulgurante et avec en prime une remarque pertinente sur le mode opératoire de la méthode utilisée.
Ceci est la charnière qui m’amène à parler d’une autre facette de de M. El Mghari. Eh Oui, le souci inné qu’il avait de vouloir toujours s’améliorer, doublé d’un esprit critique et positif, ont fait de lui la personne idoine pour prendre en charge le projet de mise en place de l’assurance qualité qu’il mena tambour battant, avec le précieux concours d’une certaine ASSAGA Fatima, jusqu’à l’obtention d’une double reconnaissance en terme d’accréditation. Plus tard, il s’attela à un autre projet, sur la même lignée, celui de la qualité totale et devint le représentant de l’office devant les instances nationales et internationales sur ce volet.

Globalement son parcours est, on ne peut plus riche, en interventions de tout genre, depuis ses nombreuses communications techniques se rapportant à la qualité de l’eau jusqu’aux innombrables réunions de suivi des projets d’ordre organisationnel et/ou de qualité, à tel point, qu’il serait prétentieux de ma part de vouloir les citer toutes d’une manière exhaustive.
Délégation  en visite du laboratoire
 en présence du DG  ONEP
Ceci lui valut d’être, enfin, nommé à la tête de la direction laboratoire vers la fin des années 2000 (juin 2008). Cette consécration, tout à fait méritoire, lui permit d’avoir les coudées franches pour maintenir le laboratoire à un niveau de maitrise de la qualité sur une courbe ascendante, qui a fait resplendir la renommée de l’Office à l’échelle régionale et internationale.
En hommage, à cette personne, qui fût et restera une référence sans conteste, pour toutes les personnes qui l’ont connu, je dirais, simplement MERCI. Saches que tu as rempli ton contrat avec brio, tes enfants, tes proches, tes collègues peuvent s’enorgueillir d’avoir été tes contemporains.
Pour ma part, je déclare qu’un commandant de bord chevronné, tel que lui, timonier quand il le faut, homme de barre quand il le faut, et homme de cale quand il le faut, vient de mettre pied à terre, laissant le joli paquebot qu’il a longtemps maintenu à flot, à quai et bien amarré. Autant, je suis content pour lui, d’avoir mené son embarcation à bon port, autant je souhaite que son successeur soit bon navigateur,  une fois le bateau à nouveau en haute mer, car il serait dommage qu’un tangage maladroit puisse envoyer, la précieuse cargaison si durement obtenue, par le fond.
Au revoir Si El Mghari, je te souhaite de rester en bonne santé, dynamique et actif comme tu l’as toujours été.


Un collègue et un ami inconditionnel : Salah ABDELMOUMENE (Rabat)